A quoi sert une thérapie familiale ?

« La souffrance de l’un masque souvent un dysfonctionnement du groupe dans son ensemble. D’où la nécessité de repérer non-dits, fausses croyances, peur du changement… »

Laurence Lemoine

Echec scolaire, troubles de l’alimentation, vols, tentatives de suicide, repli sur soi, etc. : les difficultés de l’enfant signalent une souffrance. Cette souffrance pourrait bien être celle du groupe familial dans son ensemble. Telle est l’hypothèse des thérapies familiales. Dans cette perspective, le symptôme de l’enfant n’est plus interprété comme le seul signe de difficultés individuelles, mais plutôt comme le révélateur de relations dysfonctionnelles impliquant parents, grands-parents, fratrie.
Dans quels cas peut-on avoir recours à la thérapie familiale ? Comment se déroulent les séances ? Quels bénéfices en espérer ?

Robert Neuburger et Brigitte Dollé-Monglond, psychanalystes et thérapeutes familiaux, nous éclairent.

Thérapie familiale ou individuelle ?

• Une souffrance collective

Martine, 40 ans, était divorcée depuis trois ans lorsqu’elle a renoué avec son ex-mari. « Nous étions heureux de revivre ensemble, mais les problèmes relationnels qui nous avaient séparés n’étaient pas réglés, explique-t-elle, et notre recomposition familiale perturbait manifestement nos enfants. Les résultats scolaires de l’aînée chutaient, le petit faisait des cauchemars. Nous avions tous besoin d’un soutien pour repartir sur de bonnes bases. Dès lors, le recours à la thérapie familiale s’imposait. »

Dans la plupart des cas, les choses ne sont pas aussi évidentes. Il est rare que tous les membres d’une même famille expriment le besoin d’être aidés. Lorsqu’ils se réunissent dans le cabinet d’un thérapeute familial, c’est en général parce que l’un d’eux – un enfant, adolescent ou jeune adulte – a été perçu comme « celui qui a des problèmes ». Bien souvent, il a déjà un long parcours thérapeutique derrière lui. « Mon fils était déjà passé par une thérapie individuelle et un centre de sevrage alcoolique quand nous avons été orientés vers la thérapie familiale, confie Nicole, 48 ans. J’avais besoin qu’on m’aide à le sortir de là. »

• Le patient “désigné”

Pour poser une indication de thérapie familiale ou de thérapie individuelle, Robert Neuburger examine le symptôme. Qu’il puise ses racines dans une problématique familiale importe moins que la manière dont la demande d’aide s’exprime. « Ce n’est pas la même chose d’“avoir” un symptôme et d’“être” confondu avec lui dans le discours familial, analyse le thérapeute. Dans le premier cas, celui qui porte le symptôme en souffre et demande de l’aide pour lui-même. Dans le second, l’un des membres de la famille a un symptôme, un autre en souffre, un troisième allègue ce symptôme pour demander de l’aide.

Cette dispersion des éléments de la demande, plus que le symptôme lui-même, conduit à une prise en charge collective. » Par exemple, pour un même symptôme d’anorexie mentale, une jeune fille pourra exprimer le désir d’être suivie individuellement afin de sortir de sa propre souffrance (elle est « sujet » de la demande) ; tandis qu’une autre, assurant qu’elle va bien, sera conduite en consultation par son entourage. Elle est « objet » de la demande ou « patient désigné », disent les thérapeutes familiaux. « C’est celui qui arrive au mauvais moment, résume Robert Neuburger. Ses propres difficultés peuvent être anciennes, mais sont pointées quand cela “arrange” tout le monde, car elles deviennent porte-parole de la souffrance du groupe. »

Le déroulement

• Définir un cadre de travail

« Nous étions reçus dans une grande salle, se souvient Bernard, 54 ans. Il y avait quatre fauteuils pour notre famille. Selon les conflits qui nous opposaient, nous nous installions différemment : ma femme près de notre fils, notre fille entre son frère et sa mère, ma femme près de moi… ou loin. Ces alliances et éloignements étaient interprétés en séance, en plus de nos propos. Dans la pièce, il y avait aussi une caméra.

Nous nous rencontrions une fois par mois pendant une heure. Il est arrivé exceptionnellement que les enfants se rendent seuls en séance, ou que ma femme et moi y allions sans eux. » Ce qui définit le cadre de travail – fréquence des séances, invitation ou exclusion de tel ou tel membre de la famille, intervention de un ou de deux thérapeutes, présence ou non d’une caméra ou d’une glace sans tain, etc. – « c’est la prise en compte conjointe des besoins de la famille et du thérapeute », explique Brigitte Dollé-Monglond. Il n’y a pas de règle préexistante, si ce n’est de réunir au moins deux générations et de veiller à ne pas entériner les processus d’exclusion à l’œuvre
au sein de la famille, comme l’absence systématique du père ou d’un enfant mis à l’écart.

L’utilisation d’une glace sans tain ou d’une caméra se fait avec l’accord des familles. Pour le thérapeute, elle peut constituer une aide précieuse. « Filmer les entretiens me permet d’avoir du recul sur ce qui s’est passé en séance et de demander l’avis d’un collègue, confirme Robert Neuburger. Celui-ci peut voir des éléments qui m’ont échappés et suggérer d’autres pistes de travail. » Pour les patients, la présence d’un œil extérieur est parfois perçue comme intrusive. Antoine, le fils de Bernard, vivait mal la présence conjointe de deux thérapeutes. « J’avais l’impression d’avoir deux couples de parents face à moi : les miens et les psys. Souvent, il me semblait que leurs interventions reproduisaient le schéma de nos relations familiales : l’homme contre moi, la femme à mes côtés. » Un phénomène de transfert parfois difficile à gérer, mais qui permet aussi de mettre à jour et de travailler les dysfonctionnements familiaux.

• Dépasser la crise

« Les familles qui viennent nous consulter se trouvent dans une période de crise, constate Robert Neuburger. Elles ne sont pas plus incompétentes ou plus mauvaises que d’autres. Jusque-là, elles ont su se débrouiller de problèmes complexes. Mais au moment où elles consultent, pour une raison ou une autre, leur créativité est bloquée. »
Le symptôme du patient désigné est en effet le signe que la famille doit s’adapter à une nouvelle situation – un deuil, l’entrée d’un enfant dans l’adolescence – mais qu’elle résiste au changement. « Le symptôme est généralement le point de départ de la thérapie. Mais le but est de comprendre à quoi il “sert” dans la famille, pour amener celle-ci au-delà du processus de désignation du “patient”, vers une lecture différente du problème et vers d’autres solutions », explique Brigitte Dollé-Monglond.

• Rompre le cercle infernal

Le fonctionnement d’une famille en crise est celui d’une boucle qui se referme sur elle-même. La famille produit alors « toujours plus de la même chose » et sa souffrance s’accroît. Bernard décrit ainsi « les problèmes de son fils » : « Il a toujours exprimé le souhait d’être indépendant et dit qu’il veut quitter la maison. Je le mets à la porte, je lui loue un studio, mais il n’étudie pas et ne travaille pas. Ma femme déprime. Mon fils revient à la maison. Il me dit que je l’étouffe et qu’il a besoin d’indépendance. Je le remets à la porte, etc. »

Ce scénario illustre ce que la thérapie familiale nomme le principe d’homéostasie, processus par lequel le groupe maintient sa cohésion et s’oppose au changement. Dans cette optique, les symptômes du fils servent – à un niveau inconscient – l’intérêt familial : revenant toujours à la maison, il reste enfant et la famille n’a pas à gérer son passage à l’âge adulte. La mise en évidence de cette circularité permet d’arrêter de désigner un « mouton noir » et de comprendre comment chacun participe au problème.

• Déceler les non-dits…

Autre voie d’exploration : les problématiques transmises de génération en génération. Bon nombre de pathologies familiales s’articulent autour d’un non-dit (un secret de famille, par exemple) ou de souffrances qui, parce qu’elles n’ont pas été surmontées par les générations précédentes, continuent d’« agir » sur leur descendance. La problématique alcoolique du fils de Nicole est typique de ces pathologies transgénérationnelles, qui peuvent apparaître à l’utilisation du génogramme. « Nous avons été invités à tracer notre arbre généalogique sur trois générations et à parler de nos ancêtres, explique Nicole. Un fait nous a sauté aux yeux : du côté de mon mari comme du mien, il y avait des personnes en difficulté avec l’alcool. Ça n’avait jamais été tabou, mais en parler a changé notre regard sur les difficultés de notre fils. »

• … et explorer les mythes familiaux

Dans ses travaux, Robert Neuburger a beaucoup insisté sur l’importance du mythe familial. Le mythe, explique-t-il, est « un ensemble de croyances sur les qualités supposées du groupe ». Il est constitué des éléments de la mémoire familiale que les ascendants ont jugés bon de transmettre, tandis que ce qu’il convient d’oublier est gommé. De ces croyances « autoréparatrices », dans la mesure où elles soutiennent une image positive de la famille – « Chez nous, on a toujours été soudé » – découlent des règles de conduite. Poussées à l’extrême, elles peuvent avoir des effets pathogènes. Elena, 28 ans, raconte : « Je multipliais les échecs sentimentaux et les difficultés financières. En thérapie, j’ai réalisé que mes problèmes, s’ils attristaient réellement mes parents, leur donnaient une gratification inconsciente : pour m’aider, ils se serraient les coudes. »

Quels bénéfices ?
A quoi juge-t-on qu’une famille est « guérie » ?

« Le premier signe d’une amélioration de la situation est la disparition du symptôme qui a fait consulter », indique Brigitte Dollé-Monglond. Mais la guérison est plus profonde. Si le symptôme a disparu, c’est qu’il n’a plus de raison d’être. La parole jusqu’ici défaillante peut de nouveau circuler : chacun a réappris à s’exprimer en son nom propre et à écouter les autres. « Chaque membre de la famille peut se réapproprier une forme d’autonomie psychique, donc exister sans être étouffé par son appartenance au groupe », ajoute Brigitte Dollé-Monglond.

« Le bénéfice de notre thérapie a été énorme, confirme Martine. Même si, pour notre couple, elle s’est soldée par une nouvelle séparation. Elle a permis à chaque membre de la famille de retrouver sa place, de se sentir plus libre de ses choix, et nous a redonné confiance en notre propre capacité à résoudre nos problèmes familiaux. »

La famille est une… motocyclette

La thérapie familiale conçoit la famille comme un système ouvert. Pour expliquer comment il fonctionne, Robert Neuburger utilise l’image de la motocyclette.

• La motocyclette est constituée d’un nombre limité de pièces. En cas de dysfonctionnement, on peut extraire la pièce défectueuse pour la réparer. C’est ainsi que la psychiatrie a longtemps procédé : en considérant les troubles du malade indépendamment de leur contexte.

• C’est un système fermé. Un mauvais réglage de la suspension entraîne l’usure des pneus. Dans les années 70, on a essayé de chercher des « causes » à la maladie mentale : tel patient est schizophrène parce qu’il a une « mauvaise mère ».

• C’est un système ouvert. Les causes de ses dysfonctionnements peuvent être internes ou externes (une côte à gravir). Une famille fonctionnant normalement peut se trouver en difficulté devant une côte (l’adolescence). Dans cette approche, il n’y a ni « mauvaise mère » ni « enfant à problème », mais une famille qu’il faut aider dans une épreuve de la vie.
Cette article est tiré du site internet, psychologie magasine ; vous pouvez retrouver cet article à l’adresse suivante :
http://www.psychologies.com/Famille/Relations-familiales/Parents/Articles-et-Dossiers/Vie-de-famille-contrainte-ou-plaisir/A-quoi-sert-une-therapie-familiale

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